L'aventure du conservatoire de Mascarin a commencé en 1986. L’association était alors installée à Saint-Denis, où elle partageait des locaux de l’Office national des forêts. En 1988, le conseil général achète les quelque 12 hectares de l’ancien domaine agricole de la famille De Chateauvieux dans les hauts de Saint-Leu, route des Colimaçons, et y installe le conservatoire. Six années passent pendant lesquelles l’aménagement avance ti pas ti pas. Les visiteurs n’ont accès qu’aux jardins qui bordent la grande case créole bardée de bois rouges, pas à la propriété où l’on commence à réunir des spécimens de la flore réunionnaise, endémique, indigène et exotique. En 1993, l’association reçoit le label national, mais traverse une zone de turbulences : les déficits se creusent. Le domaine ne reçoit que 10 000 visiteurs, ses horaires d’ouverture témoignent du manque d’enthousiasme de la structure, et les problèmes sociaux se font jour. En 1996, c’est dans ce contexte qu’arrive Daniel Lucas, l’actuel directeur. Successivement employé par l’Association pour la promotion du milieu rural, la direction de l’agriculture et de la forêt puis le conseil général où il prend en charge le secteur du tourisme, il reconnaît avoir été nommé pour son expérience et sa formation de gestionnaire. Quand il prend ses fonctions, il doit conduire trois chantiers : conserver le label conservatoire botanique national, apurer les dettes et calmer le feu social qui couve. La fréquentation est aujourd’hui passée à plus de 30 000 visiteurs. Sur le site, on peut apprécier les jolies choses, goûter au plaisir de contempler des végétaux qui n’existent qu’à quelques exemplaires au monde, mais il y a un sens derrière tout ça, une histoire qu’on vous raconte. Cette histoire est écrite dans l’aménagement de cinq collections paysagères.
Collection vivante
Depuis 1998, cinq hectares sont ouverts aux publics. Un voyage dans l’univers végétal de la Réunion. Dans cet hectare de vie végétale réunionnaise recomposé à Mascarin, on compte 50 espèces menacées. Mais ces plants, ces bois, ne sont pas alignés comme autant de perles sur un collier. Elles sont assemblées comme elle ont dû l’être à une époque. On a respecté jusqu’à l’étagement des plantes. En bas, sur un lit de sable, les variétés de bord de mer, au bout du chemin, les arbres qui poussent à 700 mètres d’altitude. Ce n’est pas un parti pris esthétique, mais un message plein de sens : certes, il y a des espèces menacées, mais ces espèces vivent et prospèrent au sein d’un environnement favorable. Et c’est au final cet environnement dans son ensemble qu’il convient de sauvegarder. Clin d’œil de la topographie : en arrivant au plus haut point de ce sentier botanique, on domine toute la pente qui descend vers Saint-Leu. On peut alors comparer l’existant et la reconstitution faite au conservatoire. Ou plutôt non, on ne peut plus comparer, seulement se demander comment quatre siècles de présence humaine ont à ce point pu transformer les paysages. Un peu plus loin, la collection de plantes lontan apporte quelques explications. On y trouve réunies les principales plantes introduites, accompagnées d’un récit des étapes de la déforestation. On retrouve ainsi le café, les épices, les arbres fruitiers, ainsi que la canne à sucre et le géranium. Autant de cultures que l’on a lancées en défrichant les forêts originelles. La forêt réunionnaise des origines n’est pas généreuse : seules trois arbres donnent des fruits relativement comestibles. Dans la collection "verger", une cinquantaine d’arbres fruitiers introduits prennent le soleil. C’est là qu’est présenté le goyavier, et les guides ne manquent pas de signaler que ce robuste fruitier a échappé à ceux qui l’ont mis en culture pour se répandre à l’envi. On évoque ainsi la question cruciale des pestes végétales, ces plantes qui se développent au détriment des forets originelles et menacent le paysage d’uniformisation. La lutte contre les pestes biologiques est une grande préoccupation de l’équipe scientifique du Conservatoire qui lancera probablement avant la fin de l’année le programme Invasion Biologique (en abréger Invabio), qui vise à la détection précoce et à la lutte contre les pestes végétales. La collection des succulentes montre les étonnantes capacités d’adaptation des plantes grasses et cactées à des conditions naturelles particulièrement hostiles. Quelques-unes de ces succulentes n’existent qu’à la Réunion. C’est le cas du lomatophyllum macrum, une espèce menacée dont le conservatoire a recueilli les graines, les a mise en semence afin d’engager tout prochainement une opération de renforcement de population. Le volet pédagogique du Conservatoire, c’est en outre un service de documentation et une bibliothèque bien fournie.
Un espace dédié à la préservation des espèces
La conservation des espèces passe également par un sauvetage en bonne et due forme. Il s’agit de ramener au conservatoire des graines des plantes rares, de les mettre en culture, de comprendre leurs mécanismes de reproduction, de savoir quel ennemi, naturel ou non, freine leur développement. C’est la conservation ex situ, hors du milieu naturel. Quand le processus de multiplication des plants est bien compris, on peut envisager des opérations de renforcement de la population en milieu naturel. Avec les jardiniers, on arpente la serre et la pépinière du conservatoire. Là sont mises en culture les espèces rares, les semences collectées avec autorisation expresse du ministère. Les registres regorgent de notes quotidiennes sur la croissance des plants. Actuellement, une serre est réservée aux lomatophyllum, une succulente menacée d’extinction. Les plants cultivés seront bientôt rendus à la nature. Dans une autre serre, on étudie toute une série d’arbres et de plantes indigènes mais communes. En dehors des serres, la conservation passe depuis quelques mois par une collection de plein champ. Sur des espèces au bord de la disparition, le choix a été fait de ramener des plants au Conservatoire pour les mettre en culture. On trouve ainsi le ruizia cordata, qui n’existe plus à l’état naturel qu’à quatre exemplaire, distant de plusieurs kilomètres les uns des autres. Cet arbre, auquel les croyances populaires prêtent encore des vertus magiques, a la particularité d’être sexué. La population est à présent trop morcelée pour espérer une reproduction par les voies naturelles. Au Conservatoire les jeunes plants tirés de ces souches vivent côte à côte. Le projet est de faciliter la reproduction afin de créer une population viable qui pourra regagner les forêts. Le dernier stade de conservation pratiqué occupe une vaste salle derrière le laboratoire. Une série d’étuves, d’armoire réfrigérées et de congélateurs ont été mis en service il y a peu. Dans ce nouveau labo, on recueille des semences. C’est une banque génétique. Les graines sont triées, déshydratées, puis mises en sachets étanches et entreposées à 4° ou à -15°. Tous les deux ans, des tests seront effectués pour s’assurer que le taux de germination est toujours correct. Pour mener à bien ce projet, et donc au final disposer de graines viables de toutes les plantes, il faudra des années, des décennies d’étude et de conservation...